elle & l.

Ensemble de deux photographies, tirages numériques, 50 x 70 cm, accompagné d’un texte imprimé sur papier de pierre et embossé à la main, 29,7 x 42 cm, 2023.
Coproduction Ville de Nantes – Prix des arts visuels.

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Elle & L. mêlent prénoms, pronoms et initiales phonétiques jusqu’à produire un trouble entre identité et altérité. Visages et masques induisent une confusion des rôles, se muant en facettes superposées, interchangeables, répliquées.
La figure du double resurgit et poursuit une fiction déjà initiée, se tissant d’installations en images. Elle & L. confondent leurs limites en une individualité duelle, dans leur dé‑doublement, elles se complètent et se poursuivent autant qu’elles se manquent.

Elle & L.

C’est l’histoire des jumelles qui n’avaient qu’une seule cervelle. Ça commence comme une blague mais à la fin personne ne se marre. Car si l’une des deux sait bien pleurer, ce n’est pourtant jamais de rire.

L’une commence, l’autre termine. Le repas, le livre ou l’idée, peu importe, il n’y a qu’un seul cortex à alimenter. Il faut économiser les forces, faire des choix. Après répartition des rôles, il a été décidé qu’Elle rira pour deux. Elle essaye pour vérifier, n’y arrive pas.

Alors Elle s’entraîne un peu chaque jour. Elles présagent un progrès. L. la taquine, la déconcentre. Pendant qu’ L. lui lèche les larmes, le duvet de ses joues se tapisse de l’odeur de ses végétations. L. lui cueille un sourire. L. sait que la belle puanteur laissée viendra dégoûter son nez.

L. . ira pour deux. Elle essaye pour vérifier, n’y arrive pas. L’une les yeux enfoncés, l’autre ballonnés. Elle ne va pas. Elle pleure pour deux. Ce rôle n’avait pourtant pas été distribué. Car si l’une salive, l’autre boit, l’une recrache, l’autre fume, l’une rédige, l’autre liste, l’une réclame, l’autre mange, l’une écoute, l’autre ronfle, l’une balance, l’autre se raidit, l’une emballe, l’autre souhaite, l’une comprend, l’autre oublie, l’une regarde, l’autre traverse, l’une chauffe, l’autre brûle, etc…

L. n’a pas eu le rôle de dormir ou pleurer. Ses yeux sont secrètement abîmés. Alors Elle lui passe de l’huile chaque soir, prenant soin de ne pas éviter la cornée. L. lui a appris qu’on se trimballe les mêmes molaires, mêmes incisives et mêmes paupières au fil des années.
Elles s’amochent, différemment. Car si l’une profite du soleil, l’autre l’a dans le dos, l’une crame, l’autre y goûte. L’une à l’ombre de l’autre, mais elles ne savent plus laquelle.

Elle dort pour deux. Si l’une profite du sommeil, l’autre profite de son calme. L. se console d’un oubli, car si Elle est la seule à pouvoir pleurer, elles sont bien deux à pouvoir mouiller. L. se souvient d’une phrase qu’on lui a dite et qu’Elle a écoutée : tu peux toujours te gratter jusqu’à la jouissance mais chatouille‑toi autant que tu veux, tu ne te feras jamais rire.

L. sait alors qu’elle a bien fait d’être deux. Car si Elle dort, L. rêve et que si Elle pleure, L. pourra manger ses chagrins. Dans leur jalousie, elles font le vœu, plus que tout, de se dévorer. Car pour sûr, elles ont les mêmes dents.

Vues de l’exposition Des soleils mouillés – Prix des arts visuels de la Ville de Nantes, L’Atelier, 2023
Photographies : Grégory Valton / Laura Bottereau & Marine Fiquet
Texte : Laura Bottereau & Marine Fiquet

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