les vieux démons

Installation, résine, plâtre, textiles, silicone, laine, perruques, bois, métal, plastique, verre, dimensions variables, 2018.
Coproduction Maison des arts – Centre d’art contemporain de Malakoff.

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Un tapis comme un placard dans lequel on place toutes sortes de rebuts, souvenirs poussiéreux, ectoplasmes, visions morbides et grimaçants désirs. Un tapis comme planque et aire de jeux où les pyjamas hésitent entre cauchemars divertissants et réveils subvertis. Dessus, dessous, le tapis de la torpeur présente un paysage laiteux sur lequel vient se déployer l’installation. Les tissus moelleux, les teintes douces reprennent la palette du glauque : « qui est d’un vert blanchâtre ou bleuâtre comme l’eau de mer »1.

L’inactivité apparente présente un moment de latence, une tension entre refoulement et défoulement. La construction des corps amène une lecture glissante et éclatée qui invoque à tour de rôle : corps elliptiques, corps fusionnés, jeunes ou vieux, fragmentés, dissimulés ou totémiques, corps fétiches, comme supports et incarnations de croyances et de désirs.
Tirer la langue, vomir sur le tapis, fumer sous son drap, se saisir du dentier qui baigne… Les reprises d’objets de farces-et-attrapes, objets contrefaits oscillant du rire au dégoût permettent de faire jaillir les jeux délicieusement répugnants des après-midi d’enfance. Le choix des matériaux, empruntant conjointement accessoires de farces-et-attrapes, de déguisements et objets fétichistes forment un corpus qui induit un flottement dans la perception.

Objets paradoxaux, à la fois figés, éternels et fugaces, les objets de fétiches sont souvent abordés sous l’angle de l’illusion, de l’aliénation ou de la perversion. Il ne s’agit ici en rien de soigner, mais au contraire de convoiter l’illusion, de convoquer ces « objets intenses » pour leur intensité : « le fétiche est aussi un plus‑qu’objet, un trans-objet, dès lors que, primo, il rompt les réseaux des enchaînements, des relations en lequel les objets sont pris et que, secundo, il substitue aux fonctions et finalités dudit objet une fonction magique. (…) Il s’auto-pose revêtu d’une utilité ésotérique, d’une puissance érotique, désirante qui en fait un au-delà de l’objet. »2

Les vieux démons jouent sur un registre parodique. Les présences corporelles flirtent avec le grotesque et dérèglent la division du vrai et du faux en produisant un règne du simulacre. La mise en scène vient donner corps à nombre de paradoxes inhérents aux objets choisis : les fausses facettes de visages, les faux pieds et fausses mains en silicone sont de vrais accessoires fétichistes manufacturés.
Le topos de la gémellité fait resurgir la valeur plurielle du masque. Visages trop grands, trop mous, iels apparaissent comme une entité, liée par les poignets. Seul·es debout, iels se dressent en maîtres·ses de cérémonie. Image du miroir, du diable : celui qui est double et qui divise, iels incarnent l’illusion3, la langue tirée en signe de moquerie.

1 Défintion du CNTRL.
2 Veronique Bergen, Fétichismes, ed. Kimé, coll. « Bifurcations », 2016.
3 Du latin illusio « ironie », « illusion, tromperie » dérivé de illudere « jouer avec, se jouer », « railler ».

Vues de l’exposition personnelle J’ai léché l’entour de vos yeux, Maison des arts – Centre d’art contemporain de Malakoff, 2018 et de l’exposition Des soleils mouillés – Prix des arts visuels de la Ville de Nantes, L’Atelier, 2023
Photographies : Grégory Valton / Laura Bottereau & Marine Fiquet
Texte : Laura Bottereau & Marine Fiquet

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