en gouttelettes analogues

Série de 6 photographies, tirages numériques, 22 x 16,5 cm, et dernière page de L’image fantôme, H.Guibert, 18 x 13,5 cm, encadrements en sycomore, 38 x 28 cm, 2021.
Coproduction 2angles, avec le soutien du Musée de l’écorché d’anatomie du Neubourg.

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Des objets à réanimer se rencontrent, s’embrassent, se font face, et se dévorent peut-être. Issues d’une immersion dans les collections et les réserves du Musée de l’écorché d’anatomie du Neubourg1, ces photographies mettent en scène des corps pédagogiques : écorché·e·s du XIXe et visages de mannequins contemporains d’entraînement aux premiers secours RCP2. Ici détournés de leur usage et de leur contexte au profit du récit photographique, ces facettes de visages se greffent aux représentations clastiques3, s’y accrochant par les lèvres. Les bouches, dans lesquelles il faut habituellement souffler pour simuler un sauvetage, deviennent un point de fusion, de succion, entre les corps partiels.

Les écorché·e·s d’anatomies oscillent entre rigueur scientifique et fiction sculpturale en carton-pâte. Avec une précision chirurgicale, les réseaux musculaires et les circuits veineux dessinent une main démesurée, les doigts d’un·e géant·e, ou un corps d’adulte réduit à taille d’enfant. Ces proportions dissonantes troublent la perception des corps. La photographie apporte une distance supplémentaire, neutralisant l’espace, dissimulant l’ancrage d’une mise en scène qui semble léviter.

On assiste alors à d’étranges tête-à-tête, en équilibre entre ce que l’un·e possède et ce qui manque à l’autre : visages sans corps et corps sans peau, caresse sans bras et chaussettes vides. La nudité de ces objets paradoxaux se voit contredite. Les chairs, les os, les peaux déjouent la pudeur et deviennent des costumes, des parures. Ces rencontres anachroniques évoquent alors des corps fantastiques, fantasmatiques, cyborgs. Cette mutation du regard répond à l’ambiguïté des associations, ces fragments de corps dénués de sentiments deviennent objets et sujets d’émotions. Entre succion vampirique, amoureuse, charnelle, nourricière ou dévorante, on ne sait plus qui est l’invité·e, l’hôte ou l’intru·e.

Ces rendez-vous lacunaires, intimes et flottants, sont accompagnés d’un texte : la dernière page de L’image fantôme4 prélevée, disséquée de son ouvrage. Elle poursuit le dialogue, en superposant les pistes de lecture. Le verso de la page se devine en filigrane comme un ultime secret. Inspiré de cette page cachée, le titre En gouttelettes analogues évoque les jeux de correspondance tout autant que les fluides corporels, eaux salivaires ou lacrymales qui glissent d’une joue à l’autre.

1 Ce Musée rassemble des modèles anatomiques du Docteur Louis Auzoux (1797-1880), utilisés dans l’enseignement de la médecine. Les écorché·e·s sont réalisé·e·s par techniques de moulages à base de « colle Auzoux » composée de papier, liège et colle de poisson.
2 RCP : Support d’enseignement aux gestes de réanimation cardio-pulmonaire comme le bouche-à-bouche.
3 Se dit de pièces anatomiques artificielles et démontables.
4 L’image fantôme, Hervé Guibert, ed. de Minuit 1981.

Vues de l’exposition Des soleils mouillés – Prix des arts visuels de la Ville de Nantes, L’Atelier, 2023
Photographies : Grégory Valton / Laura Bottereau & Marine Fiquet
Texte : Laura Bottereau & Marine Fiquet

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