martyr(e)s

Installation, éléments de taxidermie, bois, textiles, plâtre, métaux, corde, plumes, dimensions variables, 2014.

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« L’installation Martyr(e)s met en scène trois personnages à taille d’enfants : deux figurent comme des bourreaux (les visages couverts, ils sont en situation de domination), le troisième comme la victime (la veste ouverte, il accueille les blessures), transpercé de flèches à la manière d’un Saint-Sébastien. La scène joue de l’ambiguïté entre une cour de récréation, un tribunal improvisé et une partie de chasse. Le dispositif exprime en effet la violence désinhibée de l’enfance, ici les mécanismes de bouc-émissaire, jusqu’au lynchage collectif, par lequel un groupe s’autorégule et assure sa cohésion.
Cette image d’un processus proto-social, à l’origine de la société, rappelle par la même occasion leur travail à l’histoire du théâtre, dont les premières formes helléniques émergeaient du sacrifice d’un bouc (tragos, à l’origine du mot tragédie). Le titre est porteur d’une ambiguïté qui dédouble l’expérience de lecture que l’on peut en faire. Le ‘‘e’’ entre parenthèses sert en effet de point de bascule entre deux perspectives opposées : le regardeur peut se placer du côté du martyr (sans ‘‘e’’), il est alors face à une victime pour laquelle il peut nourrir empathie ou compassion, ou considérer le martyre (avec un ‘‘e’’), la scène en entier, d’une façon plus détachée, d’un oeil observateur qui en appelle à une pulsion scopique (à notre tendance à se satisfaire d’images effroyables, de cadavres, d’accidents etc.).

La référence au martyr assume une position iconoclaste quant à la tradition hagiographique. Il s’agit en premier lieu de poser la cruauté originelle de l’homme en regard de celle de certains épisodes du récit biblique, et d’en souligner les paradoxes. La souffrance endurée au nom de la foi apparaît ici comme salvatrice et glorieuse, quand elle semble pudiquement condamnée dans les cours de récréation et les espaces publics. La violence n’est ni feinte, ni dissimulée, elle est la valeur de transfert par laquelle opposer pulsions infantiles et sublimation chrétienne.

Martyr(e)s rappelle ainsi à la cruauté des épisodes bibliques et à son absurde autojustification : l’agonie des saints leur assurant la reconnaissance divine, à l’instar de saint Apolline, à qui l’on arracha les dents une à une, ou de sainte Dymphna, décapitée par son père qui voulait l’épouser. Le choix du saint Sébastien renvoie également à son statut d’icône homoérotique. Conformément à sa signification chez des écrivains plus ou moins subversifs (Tennessee Williams, Garcia Lorca, Mishima, Wilde, Proust…), son évocation contribue ici à réhabiliter la figure de l’homosexuel dans l’histoire des imaginaires collectifs.(…) »

Photographies : Laura Bottereau & Marine Fiquet
Texte : Florian Gaité, (extrait) Jeux interdits, Revue Terrain Vague #3, mars 2017

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